aime bien cette écriture-ci — en tout cas c’est possiblement dans ce style qu’elle aurait elle aussi voulu savoir écrire si elle avait été capable d’être écrivaine. Attention, hein, bien qu’assez commun le sujet du roman n’est pas inintéressant non plus : une « start-up nation » créatrice de quart-monde, des banlieues, des administrations kafkaïennes, une présidente disruptive, des gueux qui n’ont d’autres choix que de s’immoler en place publique... c’est tellement actuel et crédible que c’en est hyperréaliste. Mais vous connaissez les blocages et obsessions de la Garreau : dans tout texte et bien davantage que le fond c’est la forme, la prosodie, la « musicalité » qui retiennent toujours son attention. Or là... « ça le fait » comme disent les jeunes, et elle trouve même que « ça le fait » rudement bien : c’est virulent, l’auteuse tient le tempo, les phrases sont pile-poil de la bonne longueur, les syntagmes résonnent entre eux, ça valse, ça rebondit, ça tournoie, ça peut limite se scander, on se laisse griser par cette petite partie de ping-pong que les mots jouent sous nos yeux, et ce d’autant plus facilement qu’on n’a pas l’impression que la meuf se regarde écrire (contrairement à la Garreau que l’on soupçonne toujours d’adopter des postures). Bref, splif splaf splouf, pas de temps morts, pas de scènes-qui-ne-servent-à-rien, pas d’étalage d’érudition mais pas de facilités non plus : on ne pourra certes pas crier au génie, ça ne révolutionne rien du tout, ce n’est sans doute pas demain la veille que ça figurera dans le catalogue de La Pléiade mais franchement c’est une lecture tout à fait recommandable et assurément la meilleure de ces cinq ou six derniers jours — qui plus outre la dame, ouïe sur France Cul’ il y a peu, semble tenir dans la « vraie » vie des propos également très sensés.
Le titre ? « La Peau sur la table », de Marion Messina. Ce n’était théoriquement que le 3878e bouquin sur la liste d’attente, mais franchement ça valait le coup de le faire arbitrairement remonter de quelques places.