#johann_chapoutot

  • Comme un sale parfum (brun). Causerie avec l’historien #Johann_Chapoutot | #Au_Poste

    https://www.auposte.fr/causerie-avec-lhistorien-johann-chapoutot

    #Gramsci nous avait prévenus : « Le vieux monde se meurt, le nouveau monde tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres ». Avec l’#historien Johan Chapoutot, nous allons tenter, justement, de voir clair dans nos temps obscurs. Où sont les monstres ? Le cadavre du Vieux monde est-il déjà froid ou encore chaud ? La France à l’envers, Manouchian panthéonisé sous le sourire de Le Pen et ses lieutenants, la macronie machine à « com » d’#extrême_droite au service des #élites. On va écouter le maître.

    PAR
    DAV_DUF

    19 MARS 2024
    Johann Chapoutot, Historien spécialiste du "nazisme et de l’Allemagne, professeur d’histoire contemporaine à Paris-Sorbonne, est l’auteur, entre autres, de « Le Meurtre de Weimar » (PUF, 2010), « La Loi du sang. Penser et agir en nazi » (Editions Gallimard, 2014), « Le Grand récit » (PUF, 2021). Son travail sur le "management #nazi, antichambre du management #capitaliste_moderne, est l’un des plus notables.

  • Une projection de « La Zone d’intérêt » présentée par un collectif de militants juifs antisionistes suscite la controverse

    https://www.lemonde.fr/societe/article/2024/02/05/une-projection-de-la-zone-d-interet-presentee-par-un-collectif-de-militants-

    #antisionnisme

    Johann Chapoutot, spécialiste du #nazisme, a annulé sa participation à une soirée prévue mardi 6 février autour de la #projection de La Zone d’intérêt, le film de #Jonathan_Glazer sur la vie quotidienne de Rudolf Höss, le commandant d’#Auschwitz. Organisée au Grand Action, dans le 5e arrondissement de Paris, une rencontre entre l’historien et la chercheuse en langues, littératures et cultures arabes et #hébraïques Sadia Agsous-Bienstein devait être animée par le #collectif_juif_antisioniste Tsedek !.

    « Je ne peux pas, en conscience, participer à vos activités », a écrit, le 1er février, Johann Chapoutot à Samuel Leter, membre de Tsedek ! chargé de ce ciné-club. En cause : le communiqué du collectif publié le 7 octobre 2023. Dans ce message, toujours en ligne sur Instagram, le groupe écrit : « Il ne nous appartient pas de juger de la stratégie de la résistance palestinienne. Mais il est de notre responsabilité de rappeler sa légitimité fondamentale. »

    M. Chapoutot n’en avait pas connaissance avant la parution, le 1er février, d’un article de Télérama consacré à une première annulation de cet événement, lequel aurait dû se tenir le 30 janvier au Majestic Bastille, à Paris, avec Sadia Agsous-Bienstein (#Johann_Chapoutot ayant eu une contrainte d’agenda). « Ce n’était pas possible pour moi, explique le chercheur. Je suis spécialiste du nazisme et de la Shoah, le #Hamas est un mouvement #négationniste. Tuer des enfants et violer des femmes ne sont pas des actes de #résistance. Il s’agit d’un massacre de nature #terroriste, dont la dimension #antisémite ne peut pas être contestée. »

    Simon Assoun, un des porte-parole de Tsedek !, dénonce « une lecture malhonnête de ce communiqué », citant également celui que le collectif a publié le 12 octobre : « L’ampleur et la brutalité des massacres commis (…) doivent être dénoncées pour ce qu’ils sont : des crimes de guerre. Les centaines de vies israéliennes et palestiniennes arrachées nous meurtrissent. »

    « La Shoah fait partie de notre histoire »
    Samuel Leter affirme ne pas comprendre la réaction tardive de l’historien : « Dans le mail où il a accepté de participer à la rencontre, il dit qu’il admire notre courage ! » Dans ce message du 10 janvier 2024, Johann Chapoutot fait notamment référence à l’avocat Arié Alimi : « Je connais bien votre collectif, dont j’admire le courage, tout comme celui d’Arié, qui est, je crois, des vôtres. »

    En réalité, l’historien a cru dialoguer avec #Golem, le mouvement cofondé par Arié Alimi dans la foulée de la marche contre l’antisémitisme du 12 octobre. « J’ai fait l’erreur de répondre spontanément, sans vérifier, afin d’aider ce qui me semblait devoir l’être : un collectif de juifs de gauche qui s’était opposé à la participation du RN [Rassemblement national] à la manifestation contre l’antisémitisme, le RN-FN [Front national] ayant été fondé, rappelons-le, par des vétérans de la Waffen-SS et de la Milice », explique-t-il.

    #Tsedek ! comme Golem sont marqués à gauche. Tsedek !, #décolonial, affirme « lutter contre le racisme d’Etat en France et pour la fin de l’apartheid et l’occupation en Israël-Palestine ». Golem milite contre tous les racismes et dénonce l’instrumentalisation de la lutte contre l’#antisémitisme. « Tsedek ! est une organisation qui ne dénonce pas l’antisémitisme de la gauche ou de la #France_insoumise, décrypte l’historien #Tal_Bruttmann, proche de Golem. Ils servent de paravent à des gens qui sont ouvertement antisémites et ils dénoncent l’instrumentalisation de la #Shoah dans une seule direction. »

    La rencontre du 6 février animée par Tsedek ! au Grand Action est annulée. Le #cinéma explique que « des pressions extérieures ont conduit à l’annulation de la participation des intervenant.e.s prévue.e.s ». Samuel Leter juge que ces annulations équivalent à de la censure : « Nous sommes #juifs, la Shoah fait partie de notre histoire. Il ne peut y avoir de #monopole_de_la_mémoire de la Shoah. »

    La pertinence d’un échange avec une spécialiste des littératures #palestinienne et #israélienne au sujet d’un film sur la Shoah a été débattue avant la première annulation du ciné-club, ce que déplore Sadia Agsous-Bienstein : « Tsedek !, que je connais, m’invite à parler d’un film sur la Shoah, un film sur la banalité de la vie d’une famille allemande à côté d’un #camp d’extermination. J’ai travaillé sur la Shoah et c’est un film sur la Shoah. En quoi ne suis-je pas #légitime sur la question ? Parce que je suis #algérienne ? » L’une de ses recherches, « La Shoah dans le #contexte_culturel #arabe », a été cofinancée par le #Mémorial de la Shoah.

    Ce n’est pas la première fois qu’un événement animé par Tsedek ! suscite la #controverse. En décembre, une conférence coorganisée par le collectif a été annulée par la #Mairie_de_Paris. Raison invoquée : la présence parmi les organisateurs de l’#association #Paroles_d’honneur, dont est membre la #militante_décoloniale #Houria_Bouteldja.

    #Zineb_Dryef

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  • Ni Dieu, ni Roy – Johann Chapoutot
    https://www.liberation.fr/idees-et-debats/opinions/ni-dieu-ni-roy-20220425_SFIHPW4WXVEUPI3OERIJBSTHUI

    La Constitution de 1958 a transformé la France en aire de jeu pour personnalités rêvant de la « magistrature suprême ». Voulu par un vieux général patriarcal, le texte étouffe le débat et provoque une désaffection croissante à l’égard du suffrage, provoquant l’impuissance du pouvoir.

    Le passé, décidément, ne passe pas. Après avoir vu ressurgir Vichy et les mérites, manifestement trop méconnus, du maréchal Pétain, voilà réélu un faux jeune, qui cite Gérard Majax (à quand Léon Zitrone ou Sacha Guitry ?), qui rêve à Reagan et Thatcher et qui vient de découvrir l’importance de la question écologique (sur quelle planète, littéralement, vivait-il donc avant ce second tour ?). Le fringuant archaïque, ami des puissants (ceux qu’il a satisfaits en abolissant l’ISF) et des cogneurs (Benalla), rêve et jouit de verticalité, de royauté, d’autorité… Partout en Europe de l’Ouest, ce genre de personnalités est généralement exclu du champ politique. Partout, en effet, des démocraties parlementaires, avec des scrutins largement proportionnels, encouragent la discussion, le débat et une attention à l’intérêt général et au bien commun. La France, elle, est une aire de jeu offerte à des personnalités fragiles qui, tout petits déjà, se prennent pour Dieu ou le Roy. Les asiles, jadis, étaient pleins de gens qui se prenaient pour Napoléon : désormais, ils racontent à leur maman ou à Alain Minc qu’ils seront, un jour, grand chef à plume de toute la Terre.

    Personnalisation extrême

    Depuis 1958, ils peuvent rêver d’élection à la « magistrature suprême », au dialogue « d’un homme et du peuple », etc. Car, en 1958, un général né en 1890, éduqué par des hommes issus de la droite maurrassienne, qui pleuraient le XVIIe siècle de Louis XIV, qui maudissaient la Révolution française, celle qui avait décapité le Roy et le royaume, revient au pouvoir. Certes, à 67 ans, il n’avait pas l’intention de commencer une carrière de dictateur, mais il lui fallait en finir avec la République parlementaire, qu’il abhorrait car elle était, à ses yeux (comme à ceux de Pétain), responsable de la défaite de 1940. Il fallait un nouveau Roy à la France, et tenir en respect les Etats généraux du Palais-Bourbon. En 1962, estimant que sa légitimité historique ferait défaut à ses successeurs, il leur offrit par référendum la légitimité politique, celle du suffrage universel direct : les députés protestèrent (la précédente tentative, en 1848, avait abouti à un coup d’Etat bonapartiste et à un nouvel Empire…), votèrent une motion de censure contre le gouvernement Pompidou (la seule en soixante-quatre ans, à ce jour), Mongénéral, furieux, dissout, et ce fut tout.

    Le résultat est là : une personnalisation extrême, des programmes parfois inexistants, car, comme le dit le candidat Macron, en 2016, « on s’en fout », un scrutin uninominal à deux tours, qui aboutit, pour la majorité des électeurs, à un non-choix. De Gaulle avait trop d’orgueil et de souci du bien commun pour en abuser : il se retira quand il fut désavoué, en 1969. Mais n’est vraiment pas de Gaulle qui veut : en 2022, on peut être « élu » avec 38,5 % des inscrits (dont une grande partie « contre elle » et non « pour lui »), avoir perdu 2 millions de voix et 5,6 points par rapport à 2017, avoir permis une croissance de près de 3 millions de voix de l’extrême droite, et être revêtu du lourd cordon de la Légion d’honneur et de pouvoirs exorbitants (le président des Etats-Unis n’en a pas autant, et de très loin). Est-ce bien suffisant pour continuer à fermer des maternités et détruire l’hôpital (17 500 lits fermés lors du quinquennat qui s’achève) ? Pour abreuver d’argent public les cabinets de conseil qui ont contribué à son élection de 2017 ? Pour fréquenter des voyous épargnés par des parquets compatissants ? Pour assister, sans rien faire, voire pire, à la destruction du vivant ? Pour continuer à se proclamer le « camp de la raison » alors que l’on est confit en idéologie déraisonnable, voire irrationnelle (le « ruissellement », l’« écologie productive »…) ? Pour raconter tout (singer le slogan du NPA, puis de LFI, entre les deux tours) et continuer à faire n’importe quoi ? Pour insulter, ignorer et assouvir ses fantasmes infantiles de toute-puissance ?

    Structures mentales archaïques

    Il ne faut pas personnaliser outre mesure : le pouvoir grise, isole, peut rendre fou et, de toute façon, la Constitution de 1958 est un appel aux dingues. Les gens qui paradent et caracolent sur les cendres d’une élection par défaut sont le produit de structures mentales archaïques (le mythe du messie, le culte servile du « chef »), d’intérêts patrimoniaux puissants et d’un mode de scrutin obsolète : rappelons que la Constitution de 1958 est une constitution de guerre et de guerre civile (guerre d’Algérie, 1954-1962), voulue par un vieux général patriarcal et défiant à l’égard des parlements qui, au fond, avait fait son temps dès 1968. De Gaulle partit en 1969, mais la Constitution demeura, et demeure toujours. Tant qu’elle demeurera, elle étouffera le débat, assourdira l’intelligence collective et produira des catastrophes : une désaffection croissante à l’égard du suffrage, avant la bascule vers l’autoritarisme, stupidement préparé par la veulerie d’un « pouvoir » impuissant, qui ne tient que par le recours massif à la violence, et sourd aux questions fondamentales de notre temps – le besoin d’intelligence face aux injustices croissantes et à la dévastation du monde.

    • Il y a déjà 15 ans, Politis avait publié une intéressante synthèse historique sur la question de l’élection présidentielle.

      https://www.politis.fr/articles/2007/04/faut-il-supprimer-la-presidentielle-766

      ❝Faut-il supprimer la présidentielle ?
      Par Denis Sieffert, Michel Soudais
      jeudi 5 avril 2007

      La timide évocation de réformes, voire d’une VIe République, cache l’essentiel : l’élection du président de la République au suffrage universel. Seuls les candidats de la gauche antilibérale et les écolos l’évoquent.

      Difficile de sortir la tête de l’eau au plus fort de la bataille. Pas facile de remettre en cause une institution qui conditionne depuis des mois déjà tous nos commentaires, rythme toute notre vie politique, et relègue toute autre considération, sociale et internationale. Depuis des mois, la France vit sous l’empire de la présidentielle. Et malheur à quiconque remettrait en cause l’institution sacrée. Toucher aujourd’hui à l’élection du président au suffrage universel est un crime de lèse-démocratie.

      Et si c’était exactement le contraire ? Le consensus médiatique est si pesant qu’on en vient à oublier que la gauche a longtemps été hostile à ce mode de désignation du chef de l’État. Et la gauche avait pour cela de bonnes raisons historiques. Le premier usage du suffrage universel (un suffrage très peu universel, d’ailleurs, puisqu’il n’admettait pas le vote des femmes) date comme on sait du fameux scrutin du 10 décembre 1848. Il s’inscrit comme une suite logique de la contre-révolution de juin. Il vire au plébiscite. Un aventurier portant le nom prestigieux de Bonaparte recueille 5 400 000 voix, quand deux des acteurs de la révolution de février, Ledru-Rollin et Raspail, n’obtiennent que quelques dizaines de milliers de suffrages. La magie du nom a opéré, plus que la politique. Et la logique ira à son terme puisque, trois ans plus tard, Louis Napoléon Bonaparte s’appuiera sur sa légitimité populaire pour commettre le coup d’État qui le fera empereur.

      Ce n’est pas ce type de péril qui nous guette aujourd’hui. Mais une grande figure de la gauche, dont on commémore cette année le centenaire de la naissance sans entendre son message (c’est un classique de la commémoration !), a mieux que quiconque fait la critique de l’élection du président de la République au suffrage universel. C’est évidemment Pierre Mendès France. « Choisir un homme, écrivait-il en 1962, sur la seule base de son talent, de ses mérites, de son prestige (ou de son habileté électorale), c’est une abdication de la part du peuple, une renonciation à commander et à contrôler lui-même, c’est une régression par rapport à une évolution que toute l’histoire nous a appris à considérer comme un progrès [1] . » Et l’éphémère président du Conseil en rajoutait une couche : « Lorsqu’un homme est porté à la tête de l’État par le suffrage universel, c’est essentiellement sur sa personne que l’on vote. En fait, on lui fait confiance, on s’en remet à lui, et parfois sur la base de promesses plus ou moins démagogiques. » « À cet égard, concluait-il, les campagnes électorales présidentielles aux États-Unis sont d’une médiocrité que l’on n’est guère tenté de transposer ici. » Nous sommes en 1962, et Charles de Gaulle vient de faire adopter par référendum sa grande réforme institutionnelle qui donne en réalité tout son sens aux institutions de la Ve République. S’agissant de « talent » de « mérites » et de « prestige », l’homme que critique Pierre Mendès France n’en manque pas. Cela n’enlève rien à la pertinence de l’analyse. Au contraire. La seconde citation a, hélas, une portée plus prophétique. Quand le personnage n’a plus la stature du général de Gaulle, la médiocrité s’ajoute au péril antidémocratique. Nous y sommes parfois, ces jours-ci.

      Longtemps donc, l’opposition à l’élection du président de la République au suffrage universel fut une sorte de marqueur identitaire de la gauche. Même François Mitterrand, en 1962, en faisait une critique virulente dans un petit ouvrage polémique, le Coup d’État permanent. Mais son point de vue a changé quand il a revêtu les habits du candidat. On connaît la formule d’une plasticité toute mitterrandienne : « Les institutions n’étaient pas faites à mon attention, mais elles sont bien faites pour moi [...]. Elles étaient dangereuses avant moi, elles le seront après moi... »

      Non seulement le président socialiste ne toucha pas à l’institution présidentielle, mais il conserva l’une de ses attributions les plus régaliennes, le fameux article 49-3 de la Constitution, qui permet à l’exécutif de contourner le Parlement. Il a même usé sans retenue de l’article 13, par lequel le Président nomme aux emplois civils et militaires. Les deux septennats de François Mitterrand marqueront en vérité l’apogée de ce qu’on a appelé « la monarchie républicaine ». Des structures de pouvoir parallèles ont été créées ou renforcées. Des conseillers nommés de façon discrétionnaire par le Président ont rapidement été plus influents que certains ministres. Nul n’a oublié la trop fameuse « cellule antiterroriste » de l’Élysée du commandant Prouteau et du capitaine Barryl, fabriquant de fausses menaces d’attentats dans l’affaire dite des Irlandais de Vincennes. Nul n’a oublié non plus les mésaventures de Jean-Christophe Mitterrand, fils du Président, propulsé conseiller particulier aux affaires africaines. Il est vrai que le monarque républicain « de gauche » perpétuait en l’occurrence une tradition « africaine » héritée de Chalres de Gaulle et de son conseiller occulte Jacques Foccart.

      Les exemples foisonnent de pouvoirs parallèles échappant au contrôle démocratique. Ils sont autant d’arguments qui plaident pour l’abolition de cette légitimation par le suffrage universel du pouvoir d’un seul homme. Curieusement, c’est un autre haut responsable de la gauche qui a renforcé l’institution présidentielle en 2002. En inversant le calendrier électoral, le Premier ministre-candidat, Lionel Jospin, a réaffirmé le primat de l’élection présidentielle sur la législative. Trop sûr de son accession à la magistrature suprême, il a fait le pari que les électeurs confirmeraient ensuite leur vote en donnant au nouveau Président une majorité de députés. Le calcul s’est révélé exact, mais il a profité à un autre que lui... On devrait voir dans cette mésaventure la preuve que la gauche a davantage intérêt à miser sur les législatives, réorganisées autour d’un scrutin proportionnel, que sur l’élection d’un seul personnage. Si l’on se réfère aux principes fondateurs de la gauche sociale, il n’est pas exagéré de dire que la présidentielle au suffrage universel est une institution intrinsèquement de droite. Elle relègue les grandes questions programmatiques et les valeurs d’un pouvoir partagé. Le renoncement à s’attaquer à cette institution archaïque et unique en Europe constitue sans doute la plus grande faute de la gauche, au même titre que son glissement libéral.

      Quels que soient les reproches adressés à la gauche sur ce plan, force est de reconnaître que c’est encore dans ses rangs que ce coupable accommodement a été le mieux analysé. Et pas seulement quand la gauche était dans l’opposition. En 1991, François Mitterrand est encore à l’Élysée quand la Gauche socialiste, animée alors par Jean-Luc Mélenchon, Julien Dray et Marie-Noëlle Lienemann, se prononce pour une VIe République dans la motion qu’elle dépose au congrès de l’Arche du PS. Tirant un premier bilan des gouvernements de la gauche depuis 1981, ce texte, intitulé Une VIe République pour le changement social, établit déjà un lien entre l’extrême délégation induite par les institutions et l’atonie de ce que l’on n’appelait pas encore le mouvement social [2]. « Trente ans passés dans le moule de la Ve République ont diffusé partout une culture qui attend tout de ceux qui occupent les institutions et rien de l’action des citoyens », peut-on lire au début de cette motion, qui demandait de « libérer le pays de sa camisole » présidentielle.

      Si la demande de la Gauche socialiste n’a pas eu le succès escompté ­ son texte ne recueillit que 6 % des suffrages des militants socialistes ­, son analyse du régime de la Ve République n’a pas été totalement perdue. Arnaud Montebourg l’a remarquablement relancée en publiant, à l’automne 2000, un réquisitoire très argumenté à l’origine de la création de la Convention pour la VIe République (C6R), au printemps 2001. Dans la veine du Coup d’État permanent, dont il actualise le propos, le député de Saône-et-Loire, nourri des expériences gouvernementales de la gauche, croque les institutions de la Ve République en « machine à trahir » ­ c’est le titre de son essai ­ les espoirs du pays. Avec, au centre du dispositif, un pouvoir présidentiel, dont il remet en cause l’élection, qui favorise l’inertie, l’irresponsabilité et l’impunité. Mais il faut croire que l’élection du président de la République au suffrage universel résiste à toute remise en cause. Le projet de constitution présenté par Arnaud Montebourg et Bastien François, en 2005, la maintient tout en privant l’hôte de l’Élysée d’une grande partie de ses pouvoirs et prérogatives.

      Douze ans de présidence chiraquienne ont considérablement renforcé l’audience des contempteurs de la Ve République. Au point que sept des douze candidats à la présidence proposent de passer à une VIe République. Jean-Marie Le Pen, Marie-George Buffet, Olivier Besancenot, José Bové et Dominique Voynet ont été rejoints sur ce terrain par François Bayrou et Ségolène Royal. Nicolas Sarkozy, lui-même, envisage des aménagements. Tout en qualifiant la Ve République de « meilleur régime politique de l’histoire » de France, le président de l’UMP estime qu’il faut « préserver l’efficacité de notre cadre institutionnel, tout en l’adaptant ».
      Si le numéro est le même, les motivations et les réformes diffèrent. En changeant de République, le FN, qui défend un septennat présidentiel non renouvelable, veut surtout inscrire dans la loi fondamentale ses principes idéologiques, dont la préférence nationale. La suppression des pouvoirs du président de la République rassemble les « petits » candidats de gauche. Hormis Dominique Voynet, tous remettent en question l’élection du président au suffrage universel direct. Avec des variantes : régime primo-ministériel pour le PCF et les Verts ; régime d’assemblée pour la LCR et José Bové.

      À l’opposé, la VIe République de François Bayrou est présidentielle. Hostile à tout changement de République jusqu’au référendum européen de mai 2005, il plaide désormais pour de nouvelles institutions, où le Premier ministre ne serait que « le premier des ministres », soit un simple coordonnateur de l’action gouvernementale, tandis que la charge de « déterminer et de conduire la politique de la nation » incomberait au président de la République « élu par les Français pour assumer la charge de les gouverner ». S’il réforme le Parlement, avec une forte dose de proportionnelle, des pouvoirs législatifs et de contrôle accrus, le président de l’UDF souhaite que le mandat des députés prenne fin automatiquement dès l’élection du Président, y compris en cas de scrutin anticipé, subordonnant ainsi le mandat parlementaire au mandat présidentiel.

      La VIe République de Ségolène Royal repose sur « quatre piliers » : « Une démocratie parlementaire revivifiée qui va mettre fin au cumul des mandats » ; « une démocratie sociale » avec un « dialogue social » modernisé ; « la démocratie participative » ; la « démocratie territoriale », enfin, avec une « clarification » des compétences de chaque collectivité pour mettre « fin aux superpositions, aux doublons, à toutes les formes de gaspillage ». Ce projet ne remet toutefois pas en cause la concentration des pouvoirs au profit du chef de l’État.
      Interrogée sur ce point, la candidate socialiste a indiqué, lors d’un entretien au Monde (5 mars), que les prérogatives du Président ne seraient pas entamées sous son quinquennat, promettant d’« exercer pleinement le pouvoir » que lui donnent les institutions tout en résistant à la « tentation monarchique à laquelle la République a trop souvent cédé ».

      Dès lors, peut-on vraiment parler de VIe République ? Faute de remettre en cause le principe de l’élection du président de la République au suffrage universel direct, clef de voûte de la Constitution de 1958, faute aussi de contester au chef de l’État le droit de dissolution qui place l’Assemblée nationale en état d’infériorité, Ségolène Royal et François Bayrou ne proposent qu’un « simulacre » de réforme puisque « l’architecture de la Ve République est intacte, sacralisée, intouchable », comme le note Alain Duhamel (Libération, 28 mars). Ce qui ne signifie pas que leurs projets soient équivalents : « La VIe République de M. Bayrou, c’est... la Ve République "en pire". [...] La VIe République de Mme Royal, c’est... la Ve République "en moins pire" », nuance Bastien François, dans une tribune publiée dans le Monde (30 mars).

      Pour ce professeur de science politique, cofondateur de la Convention pour la VIe République, « l’élection présidentielle bride toutes les initiatives de modernisation démocratique de nos institutions chez ceux qui ont quelque chance d’accéder à la présidence ». À l’heure où le déficit démocratique de la construction européenne nécessiterait de refonder nos institutions nationales mais aussi européennes, ce constat confirme, s’il en était besoin, l’inanité de cette compétition électorale.

      Notes

      [1] La République moderne, Pierre Mendès France, 1962, cité par Paul Alliès, in le Grand Renoncement, Textuel, 2006.

      [2] Jean-Luc Mélenchon rappelle cet épisode dans Quelle VIe République ? (Le Temps des cerises, 170 p., 12 euros), un ouvrage collectif qui rassemble des contributions de François Hollande, Nicole Borvo, Christian Picquet, Arlette Laguiller, Anicet Le Pors, José Bové, George Séguy, Roland Weyl et Roger Bordier.

  • COMPLOTISME, DJIHADISME, ETC : FACE AU VIDE, LES NOUVELLES CROYANCES
    23 oct. 2021 -
    https://www.youtube.com/watch?v=Mc4x0KO1T0s

    Soumaya Benaissa reçoit l’historien spécialiste de l’Allemagne et du nazisme Johann Chapoutot à l’occasion de la publication de son livre « Le Grand récit, une introduction à l’histoire de notre temps ». Il propose un kaléidoscope des fictions collectives qui procurent un sens aux groupes sociaux comme aux individus et décrypte dans le cadre de cet entretien les récits qui du complotisme au déclinisme en passant par le « bullshitisme » s’imposent dans l’espace contemporain.

  • Isabelle Ferreras et Johann Chapoutot, penseurs du management - Ép. 3/3 - Retrouver la confiance avec...
    https://www.franceculture.fr/emissions/entendez-vous-leco/entendez-vous-leco-emission-du-jeudi-10-decembre-2020


    https://www.youtube.com/watch?v=2-uMGQqWG9A

    Alain Bashung - scènes de manager

    Le télétravail a provoqué un profond changement dans le monde de l’entreprise. Bien qu’éloignés de leurs lieux de travail, les salariés sont restés productifs. Serions-nous au début d’une nouvelle forme de management, basée sur la confiance ?

    #management #manager #organisation_du_travail

    • Avec sa description du travail dans l’Allemagne nazie, l’historien Johann Chapoutot bat en brèche quelques idées reçues comme un supposé « Etat fort » propre au IIIe Reich. Et tisse des liens avec certains aspects du management moderne, lorsque l’individu disparaît au profit de l’entreprise.
      https://www.franceculture.fr/histoire/johann-chapoutot-le-nazisme-une-multitude-de-centres-de-pouvoir-qui-so
      #Johann_Chapoutot Libres d’obéir. Le management, du nazisme à aujourd’hui
      http://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/NRF-Essais/Libres-d-obeir

      Reinhard Höhn (1904-2000) est l’archétype de l’intellectuel technocrate au service du IIIe Reich. Juriste, il se distingue par la radicalité de ses réflexions sur la progressive disparition de l’État au profit de la « communauté » définie par la race et son « espace vital ». Brillant fonctionnaire de la SS – il termine la guerre comme Oberführer (général) –, il nourrit la réflexion nazie sur l’adaptation des institutions au Grand Reich à venir – quelles structures et quelles réformes ? Revenu à la vie civile, il crée bientôt à Bad Harzburg un institut de formation au management qui accueille au fil des décennies l’élite économique et patronale de la République fédérale : quelque 600 000 cadres issus des principales sociétés allemandes, sans compter 100 000 inscrits en formation à distance, y ont appris, grâce à ses séminaires et à ses nombreux manuels à succès, la gestion des hommes. Ou plus exactement l’organisation hiérarchique du travail par définition d’objectifs, le producteur, pour y parvenir, demeurant libre de choisir les moyens à appliquer. Ce qui fut très exactement la politique du Reich pour se réarmer, affamer les populations slaves des territoires de l’Est, exterminer les Juifs.
      Passé les années 1980, d’autres modèles prendront la relève (le japonais, par exemple, moins hiérarchisé). Mais le #nazisme aura été un grand moment managérial et une des matrices du management moderne.

  • Du libéralisme autoritaire - Mon blog sur l’écologie politique
    http://blog.ecologie-politique.eu/post/Du-liberalisme-autoritaire

    Friedrich Hayek, figure de proue du néolibéralisme, propose de nouveau après guerre le libéralisme autoritaire loué par Schmitt, mais cette fois comme antidote au nazisme. « Il reconduit la position qui a mené au pire. » Chamayou y voit un « retournement extravagant » mais il faudrait peut-être se garder de voir dans Schmitt le représentant du nazisme, comme il semble le faire. Johann Chapoutot dresse justement dans Libres d’obéir. Le Management, du nazisme à aujourd’hui (Gallimard, 2020) le portrait de Reinhardt Höhn, l’homme qui a réussi à « éliminer politiquement et académiquement » Carl Schmitt au milieu des années 1930. Bien qu’antisémite, Schmitt était un homme du passé, trop attaché à l’État pour être véritablement nazi d’après Chapoutot. L’État étant pour les nazis une notion latine et la loi une notion juive, les nazis ont gouverné sans le faire, libérant les pouvoirs dans une sorte de loi de la jungle soumise à des autorités « naturelles » et plus arbitraire et chaotique que véritablement administrée. On rêve, suite à la lecture de ces deux ouvrages courts et passionnants, d’un face à face entre Chamayou et Chapoutot qui sans trancher cette question pourrait nous aider à comprendre les temps que nous vivons.

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  • Johann Chapoutot : « Merkel parle à des adultes, Macron à des enfants » - Page 1 | Mediapart

    https://www.mediapart.fr/journal/international/240420/johann-chapoutot-merkel-parle-des-adultes-macron-des-enfants?onglet=full

    On le sait depuis longtemps mais c’est bien de le rappeler.

    Johann Chapoutot : « Merkel parle à des adultes, Macron à des enfants »
    24 avril 2020 Par Ludovic Lamant

    L’historien Johann Chapoutot éclaire, à la lumière de l’exemple allemand, les failles de la gestion française de la pandémie. Alors qu’Angela Merkel s’adresse à la raison des citoyens, « en France, on nous ment ».

    • Professeur d’histoire contemporaine à la Sorbonne, grand spécialiste du nazisme (lire ici et là), Johann Chapoutot éclaire les failles de la gestion française de l’épidémie au regard de l’expérience allemande depuis janvier. Dans un entretien à Mediapart, l’universitaire décrit un pouvoir politique allemand « disponible », s’adressant à la « raison » de ses citoyens, quand l’exécutif français, « très contesté de toutes parts » avant l’épidémie, semble « préoccupé uniquement de lui-même et du raffermissement de son pouvoir ».

      Comment expliquer la meilleure gestion de l’épidémie du Covid-19 en Allemagne, à ce stade, par rapport à la France ?

      Johann Chapoutot : D’abord, les Allemands, c’est-à-dire le gouvernement fédéral mais aussi les exécutifs régionaux des Länder, ont fait de la médecine. Ils ont fait ce que la médecine prescrit en cas de pandémie. Non pas un confinement de masse, qui n’a pas eu lieu en tant que tel en Allemagne, mais du dépistage : des tests systématiques ont été pratiqués en cas de symptômes légers ou graves, et les personnes malades ont été isolées et traitées.

      Pourquoi l’Allemagne l’a fait, et pas la France ? Parce que l’Allemagne a les capacités industrielles de produire des tests. Les tests les plus rapides ont été élaborés par des scientifiques et industriels allemands, dès la fin du mois de janvier. Et la production a été possible grâce aux capacités de production dans le pays : alors que la France a connu une désindustrialisation de masse, il persiste en Allemagne un tissu industriel de PME, qui a été sacrifié en France.

      L’Allemagne a donc fait, dès fin janvier, ce que l’on nous promet de faire en France après le 11 mai : dépister, isoler et traiter. Sachant que l’on n’est même pas sûr, en France, de pouvoir le faire.

      Les capacités d’accueil des hôpitaux allemands ont semble-t-il joué également, ce qui peut paraître contradictoire avec la vision d’une Allemagne arc-boutée sur le remboursement de la dette... Qu’en dites-vous ?

      Les chiffres des lits d’hôpitaux sont sidérants : 28 000 lits en réanimation opérationnels fin janvier en Allemagne, contre 5 000 à peine en France. À quoi est-ce dû ? L’Allemagne a économisé sur presque tout, et c’est un vrai problème qu’une partie des représentants du patronat dénonce également : manque d’investissements dans les routes, les ponts, les écoles... Mais elle n’a pas économisé sur le système de santé.

      Pourquoi ? Pour les mêmes raisons qu’elle a économisé sur le reste. Elle a appliqué son mantra ordo-libéral du zéro déficit, le « Schwarze Null ». C’est ce que demandait l’électorat de la droite allemande, fait de retraités, qui détient des pensions par capitalisation privée, et qui vote donc pour une politique d’économies et de désinflation.

      En raison de la volonté de cet électorat également, il n’y a pas eu d’économies sur les hôpitaux, car c’est un électorat âgé, qui veut faire des économies, mais pas au détriment de sa santé.

      Y a-t-il une autre explication aux différences manifestes dans la gestion de l’épidémie ?

      Oui. Les pouvoirs politiques allemands étaient disponibles, au moment du surgissement du Covid-19. Ils avaient une capacité de diagnostic politique et social, une capacité d’attention dont était privé le pouvoir politique français.

      Il faut se reporter quelques semaines en arrière : l’exécutif français était focalisé sur l’enjeu de la réforme des retraites. Le 29 février 2020, un conseil des ministres exceptionnel, consacré censément à la crise du coronavirus, décidait de l’application de l’article 49-3 de la Constitution sur la réforme des retraites. Deuxièmement, ce pouvoir politique français était déjà très faible, très contesté de toutes parts. Il était préoccupé uniquement de lui-même et du raffermissement de son pouvoir.

      Souvenons-nous que la ministre de la santé démissionne le 16 février pour aller sauver une candidature à la mairie de Paris – ce serait totalement impensable en Allemagne ! Autocentré, le pouvoir français est également violent, comme le montre le traitement des médecins, infirmières et aides-soignants matraqués et gazés par la police au cours de leurs nombreuses manifestations ces derniers mois. Le résultat est que le gouvernement français, qui n’était pas à l’écoute, n’était plus écouté non plus.

      En même temps, Angela Merkel semblait, à la fin de l’année 2019, très affaiblie elle aussi.

      C’est certain, et depuis plus d’un an même. Depuis qu’Angela Merkel a renoncé à la présidence de la CDU [en octobre 2018 – ndlr], ce qui était alors une première pour un chancelier en exercice de renoncer à la présidence du parti majoritaire. Mais c’est sa successeure à la tête de la CDU qui a échoué. Merkel, elle, n’était pas contestée en tant que chancelière. Son pouvoir n’était pas contesté. Certainement pas dans la rue, comme l’était le pouvoir en France.

      Diriez-vous que le fédéralisme allemand est plus efficace que l’hypercentralisme français, face à la pandémie ?

      J’aborderai cette question du fédéralisme dans une perspective plus large, celui du dialogue rationnel, de la conception que l’on a, en Allemagne, de la citoyenneté et de la décision politique. Tout le monde a relevé les différences de registre entre les interventions d’Angela Merkel, le 19 mars, et de Frank-Walter Steinmeier, le président fédéral allemand, le 11 avril, d’un côté [les deux interventions sont à voir en intégralité ci-dessous – ndlr], et celles d’Emmanuel Macron de l’autre.

      Merkel, comme Steinmeier, parle à la raison de leurs auditeurs. Je cite Merkel : « La situation est dynamique, nous allons apprendre d’elle au fur et à mesure. [...] Je vous le demande, ne vous fiez pas aux rumeurs [...] Nous sommes une démocratie, nous ne vivons pas de la contrainte, mais d’un savoir partagé. » Quant à Steinmeier : « Nous sommes une démocratie vivante, avec des citoyens conscients de leur responsabilité, nous écoutons les faits et les arguments, nous nous faisons confiance. »

      Merkel comme Steinmeier parlent à des adultes, à des citoyens rationnels. Le contraste est net avec la France, où l’on nous parle comme à des enfants. Comme l’avait dit Sibeth Ndiaye, on assume de mentir pour « protéger le président ». Je me demande d’ailleurs comment il a été possible de nommer porte-parole du gouvernement une femme qui avait fait cette déclaration quelques mois plus tôt.

      En France, on nous ment. On nous félicite, on nous enguirlande, on nous gronde, on nous récompense, à l’instar de Macron dans ses interventions ; ou l’on nous tance ou nous insulte, comme le déplorable préfet de police de Paris, Didier Lallement. En France, on masque l’impuissance concrète, réelle, du gouvernement par des rodomontades ridicules. « Nous sommes en guerre », avait dit Macron, auquel répond Steinmeier, calmement et fermement : « Non, ceci n’est pas une guerre. »

      C’est dans ce cadre plus large que je conçois la question du fédéralisme : l’importance donnée en Allemagne au dialogue, à la concertation et à la raison. La structure fédérale fait qu’Angela Merkel ne peut prendre de décision sans consulter les 16 ministres-présidents des 16 Länder. En France, les mesures annoncées lors de la dernière allocution du 13 avril ont été communiquées aux ministres quinze minutes avant le discours du monarque républicain qui, verticalement et de manière transcendante, surprend jusqu’à son propre gouvernement. C’est stupéfiant d’archaïsme.
      « En Allemagne, il n’y a pas eu d’état d’urgence »

      La Cour constitutionnelle de Karlsruhe est-elle intervenue dans le débat sur la gestion du Covid-19, et les stratégies de déconfinement ?

      À ce stade, non. Mais il est certain que le pouvoir exécutif allemand parle et agit sous le contrôle de deux instances fondamentales, d’une part le Parlement, le Bundestag, et d’autre part la Cour constitutionnelle. Cette cour est d’ailleurs une véritable entité juridique, composée de juristes.

      Rien à voir avec le Conseil constitutionnel en France, où l’on recase des hommes et femmes politiques en fin de carrière. En Allemagne, c’est quelque chose de sérieux. La République fédérale allemande est par ailleurs une véritable République parlementaire. C’est le Bundestag qui gouverne par le truchement du gouvernement. À tout instant, il peut lui retirer sa confiance.

      Dans le cadre de l’état d’urgence en France, des pouvoirs exceptionnels ont été conférés à l’administration. En Allemagne, aucune disposition de ce type n’a été prise. Pour une raison simple : en raison de précédents historiques fâcheux, l’attachement aux libertés individuelles est fort, tout comme la vigilance citoyenne, y compris des médias, sur ces questions.

      En France, les droits et les libertés fondamentaux sont totalement négligés et piétinés par le pouvoir exécutif. Depuis l’état d’urgence antiterroriste, dont une partie est devenue du droit commun depuis 2017, puis l’état d’urgence sanitaire, dont on sait, là aussi, que de nombreuses dispositions, par un effet de cliquet, vont rester dans le droit commun. À chaque fois qu’un état d’urgence est voté, on perd en liberté. Ce n’est pas le cas en Allemagne.

      N’y a-t-il pas eu, comme on l’a vu en Espagne, des tensions entre Berlin et certaines régions, dans la gestion de l’épidémie ?

      Non. Le dialogue s’est fait en bonne intelligence. Les compétences entre fédéral et régional sont partagées pour le financement des structures hospitalières. Mais ce qui relève de l’ordre public – et donc du confinement – comme de la police est une compétence régionale.

      On a d’ailleurs observé des disparités entre des régions comme la Bavière et la Sarre [à la frontière avec le Luxembourg – ndlr] qui ont rapidement voté et mis en place le confinement, et d’autres Länder. Cela recoupe, il me semble, un facteur culturel, que l’on retrouve aussi à l’échelle européenne, voire mondiale.

      D’un côté, des pays, comme la France, l’Espagne ou l’Italie, marqués par un catholicisme culturel, avec une forte présence de l’État, lui-même hérité de l’Église. Et de l’autre, des États et des zones géographiques marqués par le protestantisme et la primauté de l’individu, où domine le laisser-faire, parfois même au détriment de la santé des individus, comme au Royaume-Uni ou aux États-Unis. Cette division se retrouve en Allemagne, entre des régions catholiques comme la Bavière, où le confinement a même été réalisé de manière assez autoritaire, sous les injonctions du président CSU Markus Söder, et d’autres Länder, où les libertés fondamentales sont plus importantes.

      À Bruxelles, Berlin continue de s’opposer, comme en 2008 vis-à-vis de la Grèce, à davantage de solidarité envers des pays plus fortement touchés par l’épidémie, par exemple en mutualisant une partie des dettes générées par la gestion de l’épidémie. Cette position d’Angela Merkel est-elle encore tenable ?

      Le débat est vif sur ces questions en Allemagne, et depuis 2008. Très tôt, Die Linke – allié de La France insoumise – s’est prononcé pour la mutualisation des dettes, et la solidarité européenne envers Athènes. Les Verts et une partie du SPD [sociaux-démocrates – ndlr] ont ensuite suivi.

      Cela fait plusieurs années que la droite patronale met en garde sur la politique d’austérité et du zéro déficit : attention, prévient-elle, c’est une catastrophe, nous allons mourir riches, faute d’investissements structurels qui minent notre compétitivité. En ce qui concerne une émission de dettes en commun au sein de la zone euro, là encore, certains à droite expliquent désormais que cette solidarité ne représenterait pas qu’un coût pour Berlin, mais un gain, étant donné que les produits manufacturés allemands sont avant tout exportés, non pas en Chine, mais chez les voisins européens.

      Le débat est en cours. Et Angela Merkel joue, sur ce sujet comme d’autres, une politique d’intérêts bien calculés. Parmi les éléments qui joueront dans sa décision, il faut citer la stratégie de l’AfD [parti d’extrême droite – ndlr], qui s’était créé pendant la crise de l’euro, justement contre l’aide à la Grèce, et qui vient de réenfourcher son cheval de bataille originel. Il faudra aussi voir comment les lignes bougent au sein du SPD.

      #industrie #désindustrialisation #austérité_sélective #gouvernance #concertation #incurie

      Liens vers
      https://www.mediapart.fr/journal/culture-idees/301214/la-carte-mentale-du-nazisme
      https://www.mediapart.fr/journal/culture-idees/170120/les-nazis-pionniers-du-management
      https://www.mediapart.fr/journal/international/100220/allemagne-la-cdu-en-crise-avec-le-depart-surprise-de-sa-presidente

  • Abondance et liberté de Pierre Charbonnier / Libres d’obéir de Johann Chapoutot
    https://www.franceculture.fr/emissions/avis-critique/abondance-et-liberte-de-pierre-charbonnier-libres-dobeir-de-johann-cha


    Comme chaque semaine deux essais sous les feux de la critique : « Abondance et liberté : Une histoire environnementale des idées politiques », de Pierre Charbonnier (La Découverte) et « Libres d’obéir : le management du nazisme à aujourd’hui » de Johann Chapoutot (Gallimard).

    #audio

  • Les influences nazies du management moderne
    https://www.franceculture.fr/emissions/la-grande-table-idees/du-crime-nazi-au-management-moderne-une-histoire-commune


    Le management, du nazisme à la mondialisation, ou l’art de produire le consentement et l’illusion d’autonomie chez des sujets aliénés. S’il ne dresse pas un réquisitoire contre le management et s’il ne dit pas non plus qu’il s’agit d’une invention du IIIe Reich, Johann Chapoutot, notre invité, souligne une continuité entre les techniques d’organisation du régime nazi et celles que l’on retrouve aujourd’hui au sein de l’entreprise, en atteste la condamnation récente de l’entreprise France Télécom et de ses trois ex-dirigeants pour « harcèlement moral institutionnel ».

    Professeur d’histoire contemporaine à l’Université Paris-Sorbonne, et après s’être intéressé au régime nazi dans des ouvrages comme Histoire de l’Allemagne (de 1806 à nos jours), paru aux PUF (Que sais-je) en 2014 ou La Révolution culturelle nazie (Gallimard, 2016), il revient avec Libres d’obéir : le management, du nazisme à la RFA (Gallimard, 2020), où il s’intéresse en particulier aux méthodes de la Menschenführung, qui traduit et germanise le terme américain de management. Car, montre-t-il, l’Allemagne du IIIème Reich est le lieu d’une économie complexe où des ingénieurs, juristes, intellectuels formés par les universités de la république de Weimar et courtisés par les nazis réfléchissent à l’organisation optimale de la force du travail. Le IIIe Reich devient ainsi un moment « matrice » (p.16) de la théorie et de la pratique du management pour l’après-guerre.

    #management #nazisme #harcelement-moral #flexibilité #asservissement