• Frédéric Lordon : « La fin de l’innocence »
    Intervention de Frédéric Lordon au meeting juif international du 30 mars 2024 – Table 4 « Faire bloc contre la répression et le tournant autoritaire en France » - UJFP
    https://ujfp.org/frederic-lordon

    (...) les bourgeoisies occidentales sont viscéralement du côté d’Israël. Les bourgeoisies occidentales considèrent que la situation d’Israël est intimement liée à la leur, liaison imaginaire, à demi-consciente qui, bien plus qu’à de simples affinités sociologiques (entre startup nations par exemple), doit souterrainement à un principe de double sympathie, lui parfaitement inavouable : sympathie pour la domination, sympathie pour le racisme – qui est peut-être la forme la plus pure de la domination, donc la plus excitante pour les dominants. Deux sympathies qui se trouvent exaspérées quand la domination entre en crise : crise organique dans les capitalismes, crise coloniale en Palestine, c’est-à-dire quand les dominés se soulèvent de n’en plus pouvoir, et que les dominants sont prêts à l’écrasement pour réaffirmer.

    Cependant il y a plus encore, bien plus profond et plus fascinant pour les bourgeoisies occidentales – je dois cette idée à Sandra Lucbert, qui a vu ce point précis en élaborant le mot que je crois décisif : innocence. Le point de fascination de la bourgeoisie occidentale, c’est l’image d’Israël comme figure de la domination dans l’innocence, c’est-à-dire comme « point fantasmatique réalisé »(1). Dominer sans porter la souillure du Mal est le fantasme absolu du dominant. Car « dominer en étant innocent est normalement un impossible ; or Israël réalise cet impossible ; et en offre le modèle aux bourgeoisies occidentales »(2). (...)