« Je suis Ă lâaĂ©roport Charles-de-Gaulle. Ils mâempĂȘchent dâentrer en France. » Sur le rĂ©seau X, le chirurgien palestino-britannique Ghassan Abu Sitta, connu pour avoir tĂ©moignĂ© de lâhorreur des bombardements israĂ©liens Ă Gaza, a fait part de sa stupeur devant la dĂ©cision des autoritĂ©s françaises de lui interdire lâentrĂ©e sur le territoire français.
Venu de Londres, il Ă©tait invitĂ©, samedi 4 mai, par la sĂ©natrice Les Ăcologistes Raymonde Poncet-Monge, afin de participer Ă un colloque au Palais du Luxembourg sur « La France et sa responsabilitĂ© dans lâapplication du droit international en Palestine ».
Mais Ghassan Abu Sitta est restĂ© bloquĂ© Ă lâaĂ©roport francilien de Roissy-Charles-de-Gaulle. « Scandaleux, Ghassan Abu Sitta, chirurgien plasticien et reconstructeur intervenu Ă Gaza, est empĂȘchĂ© de participer Ă un colloque au SĂ©nat », sâest indignĂ© Ă la mi-journĂ©e Guillaume Gontard, prĂ©sident du groupe Ă©cologiste au SĂ©nat, en appelant au chef du gouvernement, au ministre de lâintĂ©rieur et Ă son collĂšgue des affaires Ă©trangĂšres.
GrĂące Ă la mobilisation dâavocat·es spĂ©cialisé·es en droit international, Ghassan Abu Sitta a finalement pu rĂ©cupĂ©rer son tĂ©lĂ©phone portable, confisquĂ© Ă son arrivĂ©e en France. Il a ainsi participĂ© Ă la confĂ©rence sĂ©natoriale en visio depuis lâaĂ©roport, peu aprĂšs 15 heures. « Nous sommes indigné·es quâil ne puisse pas ĂȘtre parmi nous », a toutefois commentĂ© sur le rĂ©seau social X la sĂ©natrice Raymonde Poncet-Monge.
ContactĂ©s par Mediapart, les cabinets des ministĂšres de lâintĂ©rieur et des affaires Ă©trangĂšres nâont cessĂ© toute lâaprĂšs-midi de se renvoyer la balle, sans commenter la dĂ©cision française dâinterdire au mĂ©decin palestino-britannique lâentrĂ©e sur le territoire national.
La France suivrait une dĂ©cision de lâAllemagne
Pourquoi la France a-t-elle agi de la sorte ? « Ils disent que les Allemands ont interdit mon entrĂ©e en Europe pendant un an », a lui-mĂȘme prĂ©cisĂ© Ghassan Abu Sitta sur X.
En effet, le chirurgien aurait Ă©tĂ© signalĂ© pour « non-admission » dans le systĂšme dâinformation Schengen par lâAllemagne, alors quâil devait participer mi-avril Ă un « CongrĂšs palestinien » Ă Berlin, Ă©vĂ©nement interrompu par la police allemande une heure aprĂšs son dĂ©marrage. Une source policiĂšre a confirmĂ© Ă lâAFP quâune « fiche dâinterdiction de lâespace Schengen » Ă©mise par lâAllemagne empĂȘchait lâentrĂ©e de Ghassan Abu Sitta en France.
Lâavocate Sarah Sameur, qui a pu rejoindre le mĂ©decin Ă lâaĂ©roport de Roissy-Charles-de-Gaulle, a confirmĂ© Ă Mediapart que Paris avait appliquĂ© la dĂ©cision des autoritĂ©s allemandes de maniĂšre automatique. Selon elle, les autoritĂ©s auraient refusĂ© Ă son client lâaccĂšs au territoire français en vertu de lâarticle L341-1 du Code de lâentrĂ©e et du sĂ©jour des Ă©trangers et du droit dâasile.
Celui-ci indique que « lâĂ©tranger qui arrive en France par la voie ferroviaire, maritime ou aĂ©rienne et qui nâest pas autorisĂ© Ă entrer sur le territoire français peut ĂȘtre placĂ© dans une zone dâattente situĂ©e dans une gare ferroviaire ouverte au trafic international figurant sur une liste dĂ©finie par voie rĂ©glementaire, dans un port ou Ă proximitĂ© du lieu de dĂ©barquement ou dans un aĂ©roport, pendant le temps strictement nĂ©cessaire Ă son dĂ©part ».
Dans un communiquĂ© sâindignant de la situation, le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) a de son cĂŽtĂ© assurĂ© que « rien nâobligeait la France Ă exĂ©cuter lâordre allemand. La France ne respecte ni le droit international, ni le droit français, ni mĂȘme le SĂ©nat. Quand il sâagit de la Palestine et des Palestinien·nes, seul compte le droit des plus forts ».
Témoignage glaçant
En janvier 2024, une interview de Ghassan Abu Sitta par lâAFP avait fait grand bruit. HabituĂ© des conflits armĂ©s et arrivĂ© le 9 octobre en Palestine via lâĂgypte pour le compte de MĂ©decins sans frontiĂšres (MSF), le chirurgien tĂ©moignait de lâhorreur extrĂȘme vĂ©cue par les Gazaoui·es :
« La diffĂ©rence entre cette guerre et toutes les autres auxquelles jâai assistĂ© est la mĂȘme quâentre une inondation et un tsunami. Par son ampleur, son intensitĂ©, sa fĂ©rocitĂ©, le nombre de patients accueillis chaque jour, et le fait que 50 % des blessĂ©s soient des enfants, tout cela dĂ©passe tout ce que jâai pu voir. La moitiĂ© de mes opĂ©rations quotidiennes concernait des enfants. Il sâagissait de blessures gaves et dĂ©vastatrices, de blessures qui changent la vie, soit des amputations avec perte de membre, soit des blessures au visage qui dĂ©figurent gravement », avait-il dĂ©clarĂ©.
AprĂšs avoir exercĂ© plus de quarante jours sur place, notamment dans lâhĂŽpital Al-Shifa, il expliquait avoir Ă©tĂ© contraint de rentrer Ă Londres, faute de matĂ©riel mĂ©dical pour poursuivre ses opĂ©rations. « TrĂšs vite aprĂšs le dĂ©but de la guerre, nous avons commencĂ© Ă manquer de matĂ©riel et vers la fin, mĂȘme des produits de base comme la kĂ©tamine que nous utilisons pour lâanesthĂ©sie et tous les mĂ©dicaments anesthĂ©siques ont Ă©tĂ© Ă©puisĂ©s. MĂȘme les produits de base comme le dĂ©sinfectant, les compresses pour les patients brĂ»lĂ©s, tout cela Ă©tait en train de sâĂ©puiser et nâĂ©tait pas remplacĂ© Ă cause du blocus », avait-il dit.
Mathias Thépot